La nuit tombe déjà sur le port de Tunis. Dans une
pénible manœuvre, le ferry s’amarre au quai. Nous sommes samedi 7 décembre 2002, nous effleurons l’Afrique du bout des pieds, nous touchons terre en Tunisie.
Il y a trois jours, nous quittions Paris à la hâte, nos appareils photo et quelques affaires tassés au fond du sac. La route du sud s’ouvre à nous et nous
éloigne de la grisaille et de la froideur parisienne.
Si nous avons déjà entrevu l’Afrique, au travers de nos études, nos voyages ou notre travail, cette fois-ci, le contexte est différent. Nous avons choisi
la route, celle qui descend inexorablement, cap au Sud, et ne s’arrête qu’à l’océan. Ce seront d’abord le sud tunisien, l’Algérie
et le Niger, puis viendront le Bénin, le Nigeria, le Cameroun et la Centrafrique. Quinze mille kilomètres étalés sur quatre mois, des voitures de tourisme, quelques
« pellicules numériques » et des amis prêts à nous accueillir, il ne nous reste plus qu’à espérer que les vents soient porteurs.
Tunis fait partie de ces quelques villes où les klaxons précèdent l’aurore, où l’agitation saisit brutalement. Cité moderne
dans l’ensemble, elle est à mi-chemin entre « bourdonnements populaires » et « excitation industrielle ». Seul le quartier de Sidi-Bou-Saïd, lieu
de rencontre des jeunes amoureux, permet de s’évader un instant de l’urbanisation. Après quelques jours, en quête de sérénité, nous prenons
la direction de la campagne, des petits villages et des oasis.
C’est ainsi que nous traversons Toujane, petit village traditionnel, adossé à la montagne, au fond d'une cavité qui fait face à la mer. Les maisons de pierre
sont fatiguées. Le temps s'arrête quand nous croisons les yeux de notre hôte. Il se nomme Béchir et tient un petit magasin de tapis qui fait également office
d'auberge. C'est là que nous passerons la nuit. Il a le regard des gens qui ne comptent pas les choses. Ces gens qui ont compris que le temps ne se régule pas mais qu'il s'apprivoise.
Il ne nous juge pas. On peut additionner des billets, mais on ne peut pas faire de même avec le bonheur. L'allégresse ne suit pas de loi mathématique, elle ne se laisse
pas enfermer dans une logique. Elle se façonne doucement, à petit pas, avec la modestie de celui qui ne revendique pas plus que le droit de vivre.
La nuit passée, nous abandonnons Béchir. La route de Matmata dévoile des paysages d'une grande beauté. L'aridité se renforce. La ligne droite devient l'évidence
pour une route qui nous achemine doucement vers le Chott El Jerid et, un peu plus loin, à la ville de Tozeur. La lumière du soir sur les platitudes immenses, après la
nuit passée à Toujane, nous donne la certitude que le voyage est en train de commencer.
Demain, ce sera l'Algérie et le début du Grand Erg oriental. La route du Sud sera longue mais l'essentiel est en chemin.