L'Algérie... jusqu'à Ouargla
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Trois semaines se sont écoulées depuis notre départ de Paris. En Tunisie, nous avons pu "goûter" au désert à quelques reprises. Mais aller
à la rencontre du grand Sahara suppose de franchir une barrière supplémentaire. Inquiétante et attirante à la fois, la frontière algérienne
se dresse désormais devant nous. Nous entrons...
Nous arrivons à El Oued le 24 décembre au soir. Cette ville qui, sur la carte, promettait d'être une immense oasis suspendue à la volonté du désert,
n'est en fait qu'une fourmilière poussiéreuse qui s'active, et d'où s'extirpent péniblement quelques dattiers et palmiers. L'accueil des algériens est
chaleureux. Dans l'un des nombreux restaurants bordant le marché, nous rencontrons Foued, qui sert en terrasse. Il comprend rapidement que nous sommes Français. "On n'en
voit plus beaucoup" nous explique-t-il. Plus tard, il nous confiera, avec nostalgie, avoir vécu en France pendant plus de six ans avant de s'en retourner au pays, avec la famille.
Dès le lendemain, nous roulons avec l’objectif d'atteindre Djanet dans les 3 jours. Mais notre élan sera bientôt contrarié par un bruit suspect en provenance
du moteur du Hi-ace. Arrêt, remorquage jusqu'à la ville la plus proche (Ouargla) : une bielle du moteur est en train de céder. Nous avons peu de chance de trouver une
pièce de rechange dans cette ville, aux portes du Grand Sud. Un garagiste inspiré nous redonne une lueur d’espoir. Dans un pays coupé du monde par dix ans de guerre
civile, « il y a toujours un moyen de se débrouiller, de réparer ». C’est ainsi que le réseau familial de notre mécanicien prend le relais d’un
réseau commercial déficient. Quant à nous, nous prenons notre mal en patience…
Une longue semaine d’attente commence, rythmée par des rituels quotidiens : le "crème" au matin sur la grande place, le « Djedj frites » à
l’abri du soleil de midi dans la ruelle encombrée de notre auberge, les parties enflammées de baby-foot, le soir, contre les gamins du quartier, et les visites chez le
garagiste pour prendre état de l’évolution pathologique de notre véhicule.
Nous flânons jusqu’au soleil couchant, nous occupons notre temps en de longues promenades sur les plateaux et les dunes des environs de Ouargla. « Nous nous offrons le
luxe de la lenteur »1 et, bientôt, la beauté du monde minéral efface peu à peu l’impatience des premiers jours. Le 31 Décembre, dans l’après
midi, un ronronnement de moteur nous rappelle à notre projet. La route reprend ses droits et, le temps d’une photo souvenir avec notre équipe de mécaniciens, nous
cheminons à nouveau vers le Sud, seuls face aux sables à venir et à la nouvelle année qui s’annonce.
Vers Djanet
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18h30, le 1er janvier 2003, quelque part en direction du sud de l'Algérie. Les phares du Hi-ace entaillent la nuit, tombée rapidement sur la route entre Bel Guebbour et In
Aménas "Motivés, motivés !" chante le poste-radio, comme pour nous supporter dans notre tâche. Un village se dessine à l'horizon, Ohanet sans
doute. Ce soir, comme la nuit dernière, nous roulerons tard, jusqu'à ce que la fatigue nous rattrape. Puis nous jetterons le camp, derrière une dune, dans un oued ou
au bord de la route, qu’importe, la nuit sera belle...
Le Sahara Algérien n’est pas uniquement un empire de sable dominé par les vents. Il sait également charmer le voyageur par ses formes rocheuses aigues et ses
couleurs intenses et contrastées. Des dunes immenses de l'Erg Bourharet, en passant par les édifices basaltiques du plateau du Fadnoun et jusqu’au Tassili N’Ajjer,
on mesure « qu’avec le temps tout est possible, même l’invraisemblable, et de temps la nature n’en manque jamais »2. La transformation du Sahara, vers
sa forme désertique actuelle, a débuté aux alentours de 6000 av J.C. Très lente au départ, elle s’est brutalement accélérée
vers 2500 av JC, obligeant les populations de chasseurs, pasteurs, pêcheurs et agriculteurs qui y avaient longtemps prospéré à migrer, en majorité vers
le sud. Auparavant, depuis environ 8000 av J.C, un épisode humide appelé Makalien, avait fait de ce lieu, riche d’une faune et d’une flore particulièrement
abondantes, un havre de paix pour l’homme. Henri Lhote (1903-1991), par l’étude des peintures rupestres du Tassili N’Ajjer, a confirmé l’hypothèse
d’un peuplement noir du Sahara à cette époque. Cette étude a montré une similitude extraordinaire des tatouages et des masques avec certaines populations
actuelles de l’Afrique Noire comme les Sénoufo. Elle a également prouvé que certains Peuls, aujourd’hui disséminés dans la zone sahélo-soudanaise,
emploient encore des textes initiatiques parfaitement illustrés par des peintures du Tassili datant du IIIe et IVe millénaire av J.C.
Le Sahara ne s’offre pas seulement à la vue, il s’offre à l’esprit, il raconte une histoire, notre Histoire. Il est la démonstration même de
la fragilité de l’environnement et du caractère éphémère de la prospérité… C’est un peu à tout cela que l’on
pense, allongé sous la voûte céleste des nuits sahariennes. Embrumées par le sommeil, les pensées se métamorphosent bientôt en rêves,
avant que le froid matinal de ces lieux désormais arides, ne vous éveille à la réalité.
Nous arriverons à Djanet le 3 janvier en fin de journée. Cette oasis, isolée près de la frontière libyenne, accueille quelques touristes, adeptes de méharées.
Le lendemain, nous prendrons le chemin du plateau, aidés par un guide Touareg et, après quelques heures d’effort, nous aurons la chance d’observer les dites gravures
qui firent d’Henri Lhote l’un des derniers grands arpenteurs du Sahara.
De Djanet à Tamanghasset
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En empruntant la piste qui mène de Djanet à Tamanghasset, on pénètre dans le « royaume de l’absence »3. Les indications de route se résument
à quelques traces dans le sable sur plus de 500 kilomètres. La piste au balisage très partiel, est une alternance d'immenses plaines de sable plus ou moins dur, passages
obligés marqués d'énormes ornières, comme les cols et les oueds, et d'interminables plateaux basaltiques pavés de roches noires et cassantes. Dans ce terrain
difficile, nos véhicules de tourisme sont à la peine. La journée, le soleil enflamme tout ce qu’il touche. Les ensablements s’accumulent et, la fatigue et
la sécheresse commencent à se faire sentir. Nous sommes loin de tout et le trafic sur cet itinéraire est quasiment nul… La lumière du soir et le crépitement
du feu offrent un peu de répit. Nous partagerons une de nos soirées avec des gendarmes « volontaires pour le Sud ». Ils matérialisent la présence
de l’Etat Algérien dans cette région, à priori libre d’influences. L’un est Kabyle, il est fier, nous lui faisons écouter une cassette de Matoub
Lounes, un chanteur de sa région, il est troublé. Il a signé pour trois ans, il ne rentrera pas souvent… Le rituel du thé accompagne notre discussion, le
premier caresse la gorge avec l’ « amertume de la vie », le deuxième avec la « douceur de l'amour » et le dernier, franchement sirupeux, avec la «
suavité de la mort ».
Avec une moyenne de 100 kilomètres par jour (pour sept à huit heures de conduite), il nous faudra 5 jours pour rallier Tamanghasset. Poussiéreux et épuisés,
nous y prendrons deux jours de repos. La ville, surgie à la lisière sud du Hoggar, est une étape incontournable pour le commerce avec les peuples d’Afrique Noire.
Le marché local résonne sous les sons distordus de la musique Touareg et des palabres des marchants Nigériens.
A l’Assekrem, pic du massif du Hoggar culminant à près de 3000 mètres, est juché l’Ermitage du Père de Foucauld. Ce religieux, à la
fois hôte et ami des habitants de la région, le peuple targui, consacra une grande partie de sa vie à la rédaction d’un dictionnaire francais-tamacheq (la
langue des Touaregs). Dans son refuge, il ne reste que quelques lettres épinglées aux murs, et la présence des frères Jean-Marie et Marcel qui perpétuent
le travail que Charles de Foucauld avait entrepris.
Vers le Niger
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La piste, longue de 400 kms, qui relie Tamaghasset au village frontière d’Assamaka est l’unique axe de communication entre l’Algérie et le Niger. De puissants
camions rugissent dans les platitudes désertiques, se frayant un chemin entre les dunes. Ils soulèvent un long voile de poussière que l’horizon ne peut arrêter.
Ils transportent en eux le pétrole algérien. D’autres camions, plus modestes, s’ensablent plus régulièrement. De leurs beines dépassent une
multitudes de visages brûles par le soleil et la sécheresse. Ces passagers remontent vers le Nord, quand tout le monde s’en va au Sud. Ils remontent vers un rêve,
vers une illusion, celle de franchir un jour le détroit de Gibraltar…
Nous quittons l’Algérie avec regrets, où nous ne fûmes que des passants, des voyageurs. Au loin se dessine déjà la ville d’Agadez au Niger,
porte d’entrée sur l’Afrique Noire…
1. « L’usage du monde », Nicolas Bouvier
2. Citation du naturaliste Lamarck.
3. « Pèlerin du Désert », Théodore Monod.