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Reflex[e] Numérique N°4

 

Vers le Niger
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Cela fait déjà plus d’une semaine que nous avons quitté le goudron algérien aux alentours de Djanet pour ces longues pistes sahariennes éprouvantes, plus ou moins roulantes. De Tamanghasset vers In Guezzam, dernière ville algérienne, il reste encore 400 kilomètres de sable à avaler, sur l'unique axe de communication entre l’Algérie et le Niger. De puissants camions rugissent dans les platitudes désertiques, se frayant un chemin entre les dunes. Ils soulèvent un long voile de poussière que l’horizon ne peut arrêter. Ils transportent en eux le pétrole algérien. D’autres camions, plus modestes, s’ensablent plus régulièrement. De leurs bennes dépassent une multitude de visages brûlés par le soleil et la sécheresse. Ces passagers remontent vers le nord, quand tout le monde s’en va au sud. Ils remontent vers un rêve, vers une illusion, celle de franchir un jour, peut-être, le détroit de Gibraltar…

Puis, en guise de poste frontière, se dresse le premier village nigérien, Assamaka. L'ambiance est plus joyeuse. Le vieux poste-radio négocié à quelques touristes allemands passés plus tôt, hurle au fond de la pièce où s'entassent la dizaine de gendarmes, négociants et autres vendeurs d'arachides. Le rituel des formalités frontalières recommence : gendarmerie, police, douane, assurance, change...
On nous informe qu'il n'y a plus de bières au village et que le ravitaillement est attendu dans la soirée. Dommage, nous qui rêvions d'une bière bien fraîche, il faudra encore attendre.
Au départ de la piste, Joseph, un jeune « guide » nigérien, fait du stop. Nous l’embarquons dans notre petit convoi, vers Arlit, ou bien Agadez, lui-même ne sait pas bien.

Il faudra encore deux jours de navigation au GPS avant d’atteindre Arlit, cette immense exploitation d’uranium, qui engendra dans les années 60, une ville, aujourd’hui en décrépitude et où la poussière de sable est reine. Avec l’apparition de cette ville minière, la « route de l’uranium » fut également construite, reliant Arlit au sud du pays.
Ainsi, nous circulons désormais sur un reposant ruban d’asphalte et ne le quitterons plus.

Au loin se dessine déjà la ville d’Agadez, porte d’entrée sur l’Afrique Noire…
Carrefour du Sahara de par sa position médiane entre les régions du nord et celles du sud du Sahara, Agadez est l’une des plus vieilles villes du Niger. Les populations touarègues, haoussas, songhaïes et arabes s’y mêlent de manière forte, surtout depuis le XVème siècle, quand les populations touaregs de l’Aïr décidèrent d’abandonner l’existence nomade que menaient leurs prédécesseurs.
La grande mosquée d’Agadez fut construite par Zakarya au début du XVIème siècle. Le crépi du minaret est fait de banco et de paille, et est plus ou moins régulièrement entretenu (tous les cinq ou dix ans). Les pieux dépassant de l’édifice servent alors d’échafaudage lors des réfections.
Autour de la mosquée, de nombreux artisans bijoutiers arpentent les rues, exposant leur travail, à la recherche d’acheteurs. Pour la majorité, ce sont des forgerons touaregs. Ils travaillent admirablement l’argent, parfois l’or, et les bijoux, sabres ou autres objets de décoration peuvent être également recouverts de cuir, ou incrustés de pièces de cuivre.

Cette courte pause aux portes du Ténéré nous fit bientôt oublier les tumultes des journées passées sur la piste. Nous reprenons alors la route du Sud, vers Niamey, où nous retrouverons François inquiet de notre retard.

A Niamey, capitale du Niger, s'emmêlent de manière chaotique, bâtiments ministériels et marchés aux épices, grands axes goudronnés et contre-allées sableuses, jeunes universitaires et pêcheurs en pirogue. Les allées étroites du marché traditionnel, les abords du fleuve Niger ou la brousse environnante font partie de ces lieux tranquilles où nous passerons deux semaines avant de descendre vers le Bénin.


Le Bénin
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Aujourd'hui, l'océan et l'humidité ont fait leurs retours, l'urbanisme aussi. Ville fourmilière au sud du Bénin, Cotonou est incessamment parcourue par de stridents taxi-mobylettes que l'on appelle les "zems" (de zemidjan "emmène-moi vite !"). La nuit accorde un peu de calme et, bien que la ville ait perdu sa riche scène musicale des années 80-90, il reste encore quelques jazz-bar plaisants comme le " So What " où Jonas nous réserve à chaque fois, un accueil des plus chaleureux.
Les jours passent sans vraiment que l'on s'en rende compte et les journées s'organisent assez simplement. Il y a de la mécanique à faire. Une fois de plus le moteur du Hiace est en pièces. Aussi irréaliste que cela puisse paraître, le petit marché de Dantokpa nous procure toutes les pièces de rechange nécessaires : soupapes, segments, embrayage... spécifiques à notre Hiace modèle 1979.
Trois semaines plus tard, tout tourne parfaitement et nous pouvons envisager de rendre une petite visite à Louis, à Lomé (à une heure de Cotonou, au Togo), un ami rencontré en Mauritanie lors de notre précédent périple africain.
Puis vient l'heure des négociations avec l'ambassade du Nigeria, pour l'obtention de visas. Pas facile, mais quelques jours de discussions et le hasard des rencontres nous feront décrocher un visa de transit de 5 jours. Pas sur que cela soit suffisant pour couvrir les 2000 kilomètres jusqu'au Cameroun, mais nous partons quand-même, direction Lagos...

Le Nigeria
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« Pour s'en sortir, l'Afrique n'a plus beaucoup d'idées. Mais elle a du pétrole. Et si l'Occident daigne encore la regarder, c'est surtout pour ses alléchantes réserves de brut. Car le pétrole est cette chose stratégique qui fait, de temps à autre, sortir les F16 de leur hangar pour de lointaines missions chirurgicales. »1

Lorsque se présente la frontière nigériane, le douanier théâtral d’Afrique francophone, qui vous allège de quelques CFA avec le sourire, devient rapidement un lointain souvenir. Du pétrole à la corruption et à la violence, il n’y a qu’un pas que le Nigeria a franchi depuis longtemps.
En accédant à l’indépendance le 1er octobre 1960, les Nigérians espéraient sans doute que leur souveraineté politique se traduirait bientôt en une souveraineté économique. Quatre décennies ont suffit à les faire cruellement déchanter. La loi des multinationales et la « real politic » des pays occidentaux ont engendré une corruption d’Etat accablante et accentué les rivalités ethniques existantes. La région Sud Est, véritable éponge à pétrole, qui renferme la quasi-totalité des réserves de brut du pays (30 milliards de barils au minimum) est depuis longtemps une zone de fortes tensions sociales. Fin mars, des combats entre les Ijaws (ethnie majoritaire) et les Itsekiris, supposé être favorisés par le pouvoir, ont fait 65 morts.

Le Nigeria est un état fédéral, pour ne pas dire divisé. La guerre du Biafra de 1967 à 1970, guerre d’indépendance lancée par les Ibos chrétiens contre le reste du pays à majorité musulmane, a fait plus d’un million de morts. Elle a mis au grand jour les luttes partisanes pour le contrôle des richesses et les tensions religieuses qui minent le développement du Nigeria depuis son indépendance. Aujourd’hui, les Etats du Nord ont basculé dans la sphère islamiste et appliquent la Charia alors que le Sud reste attaché aux valeurs chrétiennes.

Le Nigeria est un pays de paradoxes et de contrastes inquiétants. Alors qu’une femme se fait lapider à coup de pierres dans la région de Kano, dans le même temps à Lagos, dans le quartier suave d’Ikéja, Fémi Kuti fait vibrer son saxophone et ranime l’âme révolutionnaire de son père Féla… Alors que l’or noir jaillit des forages du sud au grand bonheur des compagnies pétrolières et de quelques hommes politiques véreux, à l’autre bout de la chaîne, les cuves des stations à essence restent désespérément vides…

Une lueur d’espoir subsiste néanmoins. En avril dernier, la réélection controversée du président Abasanjo n’a pas embrasé le pays comme le craignaient les observateurs internationaux. Les scènes de violences entre camps rivaux que nous avions pu observer à Lagos ou à Yola dans le nord est, sont restées sans suite. Ce respect du processus démocratique, peu coutumier des mœurs politiques africaines, est un point important et crucial pour l’avenir du Nigeria. Il prouve que le gouvernement national garde une certaine crédibilité à l’intérieur de ses frontières comme à l’extérieur. L’armée et la police, payées et donc fidèles, sont également des alliés sur lesquels le Président Abasanjo semble pouvoir se reposer.

Le « géant d’Afrique » (120 millions d’habitants) restera en nos mémoires comme un être inquiétant et imprévisible, aussi bien pour le néophyte que pour l’habitué. Des faubourgs de Lagos aux barrages militaires improvisés au bord des routes, la tension reste palpable et saisi jusque dans la moelle… Le destin est un concept auquel il est bienvenu de croire lorsqu’on entreprend de traverser le Nigeria Quelques précautions sont de mise si on ne souhaite pas gagner un « one way trip» pour la prison ou pour le marché des pièces détachées humaines. C’est donc la gorge encore serrée que nous dégusterons la tiédeur de la bière camerounaise, une fois la frontière passée…

1-extrait de l’article Les damnés de l’Or Noir de Semba Diallo (Le Marabout, Journal Satyrique Africain)


 

 

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