Jerba est une île fade, sans charme et sans ferveur. Nous passons
devant la synagogue où s'est produit l'attentat revendiqué par
Al Qaida, en Avril dernier. Le temps est maussade. Une excursion
dans un " night club " de l'île nous permet d'apprécier le tourisme
sexuel de certaines européennes. Nous sommes hébergés par Nathalie,
une doctorante en agro-pastoralisme. Sa joie de vivre et sa simplicité
nous font oublier nos déboires tunisiens. Elle travaille ici depuis
16 mois. Elle suit des éleveurs du Sud Tunisien. Il y a chez cette
femme une force et une conviction évidente. J'apprécie l'intérêt
qu'elle porte à son étude. Les liens qu'elle a su créer avec les
bergers berbères, sont étonnants. Une certaine confiance se dégage
de sa relation avec ses éleveurs. Cette confiance, j'aimerais
la recréer lors de nos interviews. Nathalie a eu 16 mois, nous
aurons, en moyenne, une semaine pour arriver au même résultat.
Je prend conscience de la difficulté de notre entreprise.
Nous quittons Jerba le samedi 21 décembre pour une petite excursion
touristique à Ksar Ghelane et dans les environs de Tataouine.
Nous retrouvons Nathalie à Toujane, le lendemain soir (c'est à
dire hier). Toujane est un petit village traditionnel, accoudé
à la montagne, au fond d'une cavité qui fait face à la mer. Les
maisons de pierre sont fatiguées. Le temps s'arrête quand nous
croisons les yeux de notre hôte. Il se nomme Béchir et tient un
petit magasin de tapies qui fait également office d'auberge. C'est
là que nous passerons la nuit. Il a le regard des gens qui ne
comptent pas les choses. Ces gens qui ont compris que le temps
ne se régule pas mais qu'il s'apprivoise. Il ne nous juge pas.
On peut additionner des billets, mais on ne peut pas faire de
même avec le bonheur. L'allégresse ne suit pas de loi mathématique,
elle ne se laisse pas enfermer dans une logique. Elle se façonne
doucement, à petit pas, avec la modestie de celui qui ne revendique
pas plus que le droit de vivre.
La nuit passée, nous abandonnons Béchir et Nathalie. La route
de Matmata dévoile des paysages d'une grande beauté. L'aridité
se renforce. La ligne droite devient l'évidence pour une route
qui nous achemine doucement vers le Chott El Jerid et, un peu
plus loin, à la ville de Tozeur. La lumière du soir sur les platitudes
immenses, après la nuit passée à Toujane, nous redonne foi en
notre projet et me donne la certitude que le voyage est en train
de commencer.
Demain, ce sera l'Algérie et le début du Grand Erg oriental.
La route du Sud sera longue mais l'essentiel est en chemin.
Vinz